L’origine de l’ARMC

« Ma nouvelle compagne »

Ça fait trois ans que j’ai une nouvelle compagne. Je ne l’ai pas invitée. Elle fait partie de moi, elle m’habite. Nous vivons en bonne entente l’une envers l’autre, et je sais qu’elle gagnera, mais peu importe, il faut reculer l’échéance.

Il y a trois ans, je ressentais de temps à autre le soir quelques balbutiements auxquels je ne prêtais pas attention parce que mon parler, à part ces moments bien fugitifs, était satisfaisant. J’étais très bavarde, disant beaucoup de gaudrioles. Quand je parlais à ma sœur et à une de mes amies, que je bafouillais, elles me disaient « tu bois trop de champagne ». Je n’en buvais pas tous les jours, mais si j’avais su, j’en aurais bu plus souvent.

Début juillet, j’allais chez ma généraliste. Elle prit rapidement la chose au sérieux. Un courrier déposé par Claude chez elle, l’alertant de dysfonctionnements qu’il avait observés. Suite à quoi, elle me prit un rendez-vous chez le neurologue. J’y allai toute seule. Après les examens classiques aux bras et aux jambes, il me fit tirer la langue. Moi, follement optimiste, je lui demandai « ce n’est pas grave ? ». Il me répondit « c’est neuro-dégénérateur » ! Je sentis le sol s’ouvrir sous mes pieds, je paniquais. Je fis en sorte de partir vite de son bureau, et je retrouvai en pleurs, Claude.
Je ne connaissais pas la SLA, mais la maladie de Charcot ne me disait rien de bon. Par un ami, je pris un rendez-vous avec le chef de service en neurologie au Centre Hospitalier Bretagne Atlantique à Vannes. Il m’annonça « vous avez 70 % de chances d’avoir une SLA ».

Dans SLA, il y avait le mot « latéral ». Je me dis dans ma petite tête « il n’y aura qu’un côté d’atteint », mais à la lecture des documents « j’aurais la totalité du corps paralysé ». Je n’en dormis pas une nuit entière, et la journée d’après « j’étais groggy ».

A Noël, je parlais plus lentement, mais à Pâques les gens se détournaient sur moi quand je parlais, à la lenteur s’ajoutait un timbre de voix inhabituel ce qui me valait ce type d’observation « pour une anglaise, vous parlez bien français » !
Puis cela passa, finalement je n’étais pas très atteinte. On prit rendez-vous à la Pitié Salpêtrière auprès du Professeur Vincent MEININGER. J’étais sur la défensive, fourbissant mes armes. A l’examen, je ne présentai pas mon meilleur visage. Je lui dis après la consultation « je suis contente parce que vous ne m’avez pas dit que j’ai une SLA ». Ce à quoi il me répondit « si on vous adresse à moi, c’est que votre cas n’est pas anodin ». Il me convoqua pour une semaine d’hospitalisation dans son service au mois de juin. Toute une batterie d’examens m’attendait. Ce fut une semaine de vacances pour moi. Mes enfants venaient me voir, Armelle, Annick LE PRIOL, Jean-Paul. J’eus droit à une ponction lombaire, je m’attendais à pire comme douleur. Le résultat tomba « SLA bulbaire ». Je m’étais habitué à cette idée.
Je menais une vie normale. Ma voix changeait peu à peu, mais j’arrivais à m’exprimer par oral. Survint fin mai 2009 – suite à une « fausse route » – une pneumopathie. Je rencontrais de plus en plus de difficultés à manger et boire. J’ai pris ma dernière coupe de Champagne au Noël précédent. Lors de notre rendez-vous fin juillet à la Pitié Salpêtrière, le Professeur me conseilla une gastrostomie qui se fit dans son service. Depuis cette date, je ne mange plus, je ne bois plus, pire je ne parle plus. Un jour je me suis dit « tu ne fais pas encore partie du royaume des morts, ni du royaume des bien portants », une évidence s’offrait à moi « je fais partie des handicapés » ; mais je ne suis pas malheureuse. J’ai mes membres, ce qui me permet à certains moments de la journée d’être indépendante.

J’ai eu beaucoup de chance dans ma vie. Je regarde les gens s’agiter, d’autres se plaindre pour des bêtises. J’ai trois beaux enfants, huit petits enfants, et Claude qui se révèle un mari très attentif et aimant. Mes enfants viennent me voir dès qu’ils ont le temps, y compris « ma Suédoise ». Un seul regret, les plus jeunes auront connu une mamie ne parlant plus. Je me dis en voyant des jeunes en fauteuil roulant que j’ai eu de la chance de vivre pleinement ma jeunesse. J’ai eu 30 / 40 / 50 / 60 ans, j’avais la forme. Ce que j’aimerais savoir, c’est comment j’ai attrapé cette maladie ? Je me dis que c’est parce que j’allais étant enfant sniffer de l’éther dans le cabinet de mon père ?
J’apprécie chaque jour. Je ne souffre pas, j’ai juste plein de désagréments, mais qui n’en n’a pas ?

Je suis très entourée par une équipe médicale que coordonnent ma généraliste, le Docteur Hélène Gilles, et le Professeur Vincent Meininger : infirmier(e)s, kiné, orthophoniste, ergothérapeute, diététicienne, pneumologue, ophtalmologue, rééducation fonctionnelle, gastroentérologue, neurologue. Chacun à son niveau donne le meilleur de lui même avec affection, dévouement, et une compétence qui dépasse l’excellence. Soyez en, les uns et les autres, infiniment remerciés. Il serait fâcheux ici d’omettre dans nos remerciements, les prestations de service de l’équipe de la pharmacie de Pleucadeuc qui nous ouvre ses portes, même « hors service ».

Bref, je suis heureuse de vivre.

Je me retrouve très bien dans cette belle chanson de Serge Reggiani, que j’ai légèrement adaptée en la circonstance :

« Pour avoir si souvent dormi avec « ma maladie »,
Je m’en suis fait presqu’une amie, une douce habitude,
Elle ne me quitte pas d’un pas, fidèle comme une ombre,
Elle m’a suivi ça et là aux quatre coins du monde,

Non, je ne suis jamais seule avec ma SLA » …

Jeanne Hamon-Frostin